Je voulais publier cet article le 25 mars (journée mondiale de la procrastination), mais c’est raté.
Depuis mon premier exposé sur le lapin de garenne en 2e année primaire jusqu’à ma prochaine déclaration d’impôts, ce mal me torture inlassablement: je repousse au lendemain, je prends du retard, motivation, saute-moi contre. J’ai longtemps cru que j’étais le seul, isolé sur une île de manque d’autodiscipline et de glissement de planning. Mais désormais j’en suis sûr, nous sommes tous des procrastinateurs.
D’ailleurs, la plupart de mes potes font régulièrement des coming-out sur Facebook pour avouer qu’ils jouent à Hearthstone plutôt que de bosser sur leur dossiers de demande de fonds, qu’ils nettoient rageusement leur appartement plutôt que de répondre à leurs courriels, ou qu’ils ont abattu 12 heures de travail après minuit pour rendre leur travail de maturité.
Qu’est-ce qui nous pousse à nous infliger ce stress de la dernière minute? Pourquoi entrons-nous dans un rapport sado-masochiste avec la contrainte temporelle, valsant avec le planning dans un rock’n’roll acrobatique et insomniaque?Connaître son ennemi, c’est le vaincre à moitié. Jetons-nous dans la gueule de la procrastination. Faites-moi confiance, je suis un expert.
Dans le ventre de la bête
La première grosse raison de procrastiner, c’est de ne pas voir suffisamment de sens à la tâche qui nous attend. La déclaration d’impôts, le dossier de demande de fonds à la Loterie Romande (23 pages) et le fait de changer de pommeau de douche peuvent très bien faire l’objet d’une procrastination de type A, la procrastinite Àquoiboniste: vous ne voulez pas faire ce truc parce votre vie se déroule très bien jusqu’ici, parce que vous n’en avez pas besoin, parce que vous vous méfiez de l’Etat de Vaud ou vous pensez que le quincailler va vous arnaquer. Vous aimez le statu quo, la paix des ménages et les plats pré-cuisinés. Oui, c’est de la paresse et c’est juste que vous ne voyez pas l’attrait de la chose. Pour vous, l’inconfort d’ouvrir Word et la torture de faire des phrases officielles dépasse de loin la récompense potentielle qui se dandine au bout de cette lettre d’offre spontanée.
Deuxième blocage possible: la noyade dans un verre d’eau. Vous vous représentez la tâche à venir comme une montagne de boulot, genre quinze ans de travaux forcés ça serait plus facile que d’aller changer les pneus d’hiver. La déclaration d’impôts, le dossier de demande de fonds à la Loterie Romande (23 pages) et le fait de changer de pommeau de douche peuvent très bien faire l’objet d’une procrastination de type B, la procrastinite Baleinophobe: c’est trop gros pour vous, ce truc-là, ça prendra des heures, vous n’avez pas le temps! Vous aimez le zapping, les tâches de cinq minutes, les mains bien lavées et le travail vite fait. Vous êtes persuadé que le garagiste va vous tenir la jambe pendant deux heures, que vous devrez aller chercher des jantes 27 pouces en Pologne et que les procédures de visa nécessiteront des bakchichs monumentaux. On peut dire que vous êtes un·e pessimiste, oui, on peut le dire.
Enfin, troisième et dernière incarnation du monstre, la procrastination de type C, dite procrastinite Commençophobe: la peur de commencer, induite par la peur de finir. La peur d’échouer, induite par la peur de réussir. La paralysie par peur du changement. Vous avez peur de finir ce projet à cause du vide occasionné par son achèvement (une sorte d’anticipation de la dépression post-partum). Vous vous mettez une pression gigantesque sur la qualité qu’aura le projet, et cette attente vous empêche de voir la réalité: tout commence par un brouillon. Avec beaucoup, beaucoup de ratures. Vous ne parvenez pas à jeter les premières idées de cette symphonie, parce que vous aimeriez qu’elle soit déjà digne d’un Prix Nobel de Musique, là, au premier jet. Vous adoreriez que vos amis vous respectent pour cette composition qui changera à tout jamais la face de l’humanité. La pression monstre de la qualité vous paralyse. Vous aimez la propreté d’une feuille blanche, le packaging des produits Apple et les nombres premiers. Vous êtes un·e perfectionniste.
Souffrant de procrastinite de type A, B et C, j’ai recouru à toutes sortes de moyens pour les combattre: j’ailu des bouquins de productivité, de développement personnel, d’aide à la créativité et à l’autodiscipline. Comme un cancer dont on ne guérit jamais complètement, je continue à me soigner, mais voilà les choses qui marchent (en alternance, parce que ma paresse apprend vite à contourner ces astuces).
Contre le type A: Getting Things Done, ou l’art de ré-évaluer ses motivations
Tout le système de David Allen est théorisé dans son bouquin: l’idée principale, c’est d’identifier la motivation à long terme pour effectuer sa déclaration d’impôt, faire son ménage dominical et écrire son prochain bestseller. Si vous savez pourquoi vous faites les choses (pour être en paix avec l’administration cantonale / votre colocataire / votre conscience), vous pourrez aligner votre motivation à court terme sur la prochaine tâche à effectuer. Mieux: une fois que vous aurez des objectifs à long terme (devenir écrivain, publier un roman), vous pourrez définir une habitude créative qui vous poussera à vous mettre à la tâche sans remettre en question la finalité. Hop, 2000 mots par matinée.
Enfin, dans certains cas, vous renoncez à vous mettre à l’ouvrage parce que vous avez accumulé une colère reliée au projet: vous voulez punir quelqu’un avec votre retard, ou vous voulez vous punir vous-même, ou encore vous n’êtes pas satisfait·e des conditions-cadres dans lesquelles s’est négocié le projet. Cinquante balles pour une traduction de dix pages? Non merci, je préfère jouer à Candy Crush. Moralité: vous devez faire la paix avec vous-même, pour trouver votre désir de vous mettre à la tâche, coûte que coûte.
Contre le type B: “Bird by Bird”, ou l’art de faire le premier pas
C’est un bouquin tout joli, où l’auteur raconte la panique de son petit frère à l’approche d’un délai pour rendre un exposé pour les oiseaux. C’est dimanche soir, en fin d’après-midi. Il faut rendre l’exposé demain. Il s’agit de dessiner une trentaine de mésanges à tête brune, et le jeune écolier pleure à grosses gouttes devant son papa. “Une chose après l’autre,” lui dit son père, “Un oiseau après l’autre“.
L’idée, c’est de se mettre au boulot sans trop se soucier du temps que ça va prendre (bonne surprise: généralement, ça prend moins de temps que ce que l’on se représentait). Brian Tracy confirme la même idée sous une autre forme: “Si vous devez manger deux crapauds, commencez par le plus gros”; autrement dit, si deux tâches vous attendent, commencez par celle qui vous paraît la plus difficile, la plus longue, mais surtout la plus importante.
En fait, la méthode de David Allen vous permet aussi de lutter contre cette procrastination où tout semble immense: en découpant les grosses tâches en actions plus petites, la montagne devient un ensemble de cailloux, tout à fait déplaçables un par un. La foi déplace les… Bon, vous m’avez compris.
Contre le type C: Start anywhere
Paradoxalement, c’est dans un bouquin d’impro, l’excellent Improv Wisdom que j’ai pris conscience de cet outil tout simple: on peut commencer un projet par n’importe quel bout. Si c’est pour le 4e mouvement (Allegro con Fuoco) que vous avez le plus d’idées pour votre prochaine symphonie, par pitié, commencez par là! Si vous pouvez déjà ranger votre hall d’entrée, ça compte déjà pour beaucoup dans le ménage de votre 5 pièces en duplex. Ce qui importe, c’est d’enclencher la petite lumière, de démarrer le processus vertueux de mise en action. C’est une énergie que vous devez déployer, immense pour les premiers mètres (visualisez une fusée au décollage) (métaphore phallique).
Concrètement, vous pouvez aussi mettre en application la technique Pomodoro, où chaque mise en action dure 25 minutes, suivies de 5 minutes de pause. Cela vous garantit de pouvoir travailler moins d’une demi-heure à la tâche (une proposition que personne ne peut refuser), tout en vous libérant du temps pour checker vos What’sApp pour vous récompenser de vos efforts.
En cas d’urgence, brisez la glace
Enfin, voilà des outils d’urgence quand tous le reste a échoué, que nous sommes dimanche soir et que vous devez rendre votre projet pour lundi 8h00 (auquel cas, vous avez vraiment bien procrastiné; vous voulez une médaille?):
- L’exil numérique; portable en mode avion, wi-fi désactivé, logiciel d’écriture qui limite les distractions. Mettez toutes les chances de votre côté en vous concentrant sur une seule chose. Une. Seule. Chose.
- Le sprint; de la même manière que vous avez joué pendant 8 heures d’affilée à Civilization 5, vous allez vous lancer dans une session d’orgie stakhanoviste. Le but est de faire bouger les choses le plus vite possible, de vous débarrasser de cette tâche. Café, Red Bull, j’en passe et des meilleures. On est d’accord que c’est juste pour cette fois, compris?
- La planification autoritaire (le sprint en mode traçable); il est donc 21h00. Vous devez rendre ce travail demain matin. Vous vous lèverez à 7h15. En vous octroyant 4 heures de sommeil, voilà la première bonne nouvelle: il vous reste exactement 6h15 (soit 375 minutes) de travail utile. Prenez cinq minutes pour découper votre projet en tâches de 20′ maximum. Priez pour que ça tienne sur vos 370 minutes restantes. Ensuite, distribuez ces tâches sur un planning, et vous constaterez que vous pourrez probablement vous libérer quelques pauses. Ensuite, au boulot: vos tâches, vos échéances, vos pipis et vos cafés seront minutés, et votre projet avancera. Vous rendrez votre présentation sur les bénéfices concurrentiels des entreprises du groupe Genton avec des poches sous les yeux. Mais avec des poches sous les yeux planifiées.
Si rien ne marche, écrivez un mot d’excuse où vous demandez un nouveau délai et où vous expliquez que vous avez procrastiné comme une petite racaille qui pue la culpabilité. Plus votre mea culpa sera lamentable, moins vous aurez envie de recommencer, promis. (j’ai fait ça une fois, ça marche du tonnerre)